Jörg Gessner, Les feuilles du temps: commissaire Frère Marc Chauveau

7 Mars - 6 Avril 2019

Face à une œuvre de Jörg Gessner on est captivé et interrogatif. L'œuvre ne renvoie à rien de ce que l'on connaît. On est enchanté par le raffinement de sa matière - du papier, d'infimes feuilles de papier - touché par la délicatesse du rendu - comme une peau. On s'interroge sur la technique, mais très vite on laisse tomber la question. L'essentiel est ailleurs. L'œil glisse à la surface dans un premier temps, puis le regard pénètre dans la profondeur impalpable de la lumière. Transparence lumineuse de la surface.

 

Jörg Gessner s'intéresse depuis plusieurs années à l'interaction entre la lumière et la surface du papier. Après des recherches menées en Europe, c'est au Japon qu'il découvre l'inouïe variété des papiers. Trois mois par an durant sept années, il séjourne dans un village de papetiers au Japon. Ces artisans l'initient aux mille nuances et textures du papier et à leur savoir-faire pluriséculaire. Jörg apprend dans son travail à dialoguer avec le papier. Un travail tout en discrétion, en humilité, se mettant en réceptivité devant le papier. L'essentiel de sa recherche réside dans son désir de montrer la lumière.

 

En effet, la lumière est bien le sujet principal de l'œuvre de l'artiste. Elle en est le cœur. Elle sem-ble sourdre du tableau lui-même. Elle vient à nous. Plus on donnera du temps à l'œuvre, plus on percevra les variations subtiles de la lumière qui se révèleront peu à peu. Les tableaux vivent avec la lumière. Avec très peu de moyens ils s'animent et se transforment selon les heures. Une lumière atmosphérique qui engendre l'espace, un espace ouvert, un espace infini. En apesanteur.

 

L'œuvre de Jörg Gessner, impalpable, donne à voir l'invisible. Très naturellement, on en vient à re-lier sa recherche sur la lumière avec celle menée tout au long de sa vie par Geneviève Asse.

 

Dans certaines œuvres apparaissent des formes géométriques dont les contours perdent de leur netteté et semblent se dissoudre dans une brume lumineuse. Une architecture secrète se crée dans la lumière. On est face à un paysage cadré. Un paysage de lumière.Cette apparition de la fenêtre architecturale est comme un écho du cadrage du paysage voulu par Le Corbusier dans les loggias des chambres du couvent de La Tourette - lieu cher à Jörg qui vient ré-gulièrement s'y ressourcer. Le Corbusier, qui rappelait souvent qu'il avait construit le couvent avec deux matériaux - le béton et la lumière - aimait à cadrer le paysage afin de procurer du calme dans les cellules et voulait ainsi offrir aux hommes ce dont ils avaient le plus besoin, le silence et la paix.

 

Les œuvres de Jörg Gessner sont des fenêtres ouvertes sur l'espace, la lumière, l'infini.Leur dépouillement nous ramène à l'essentiel. Aucun bavardage, aucune digression.

 

Les formes ménagent le silence. La lumière modèle l'intériorité.

 

Frère Marc Chauveau, Ouverture lumière, janvier 2019

Commissaire des expositions, Couvent de La Tourette